Supervision éthique

supervision éthique

Conformément à l’engagement formulé sur notre site, nous avons mandaté le Centre Interdisciplinaire de Recherche en Ethique (CIRE) de l’Université de Lausanne pour jeter un regard critique sur notre action et identifier les points d’attention. L’approche interdisciplinaire du CIRE, qui rassemble des compétences en éthique de l’environnement, de la santé, de la formation ou encore du care, nous a convaincu. De par sa démarche contextualisée, le CIRE nous a semblé être l’institution susceptible de nous faire le plus progresser. Car, certes nous pensons faire les bonnes choses et les faire bien, mais on peut toujours faire mieux.

Le rapport du CIRE répond exactement à nos attentes. Nous sommes rassurés qu’aucune thématique nouvelle n’ait été relevée. Et nous nous engageons à trouver des solutions sur les problématiques soulevées :
• Nous aborderons ultérieurement dans ces actualités les points d’attention liés aux crédits carbone et à la sélection des investisseurs auxquels nous les vendrons.
• Sur l’aspect de la promotion des femmes nous sommes conscients qu’il reste encore beaucoup à faire. Du renforcement des groupements féminins existants à la formation des jeunes filles, en passant par la sauvegarde des savoirs sylvicoles détenus par les anciennes, les thématiques sont multiples. Nous voulons aussi mieux mobiliser les compétences de notre partenaire GUIDRE qui maîtrise parfaitement les formations destinées aux femmes (alphabétisation, soins liés à la maternité, prévention de l’excision, etc.). Lors de notre dernière visite à Damaro nous y avons fait la connaissance d’une autre ONG, partenaire de GUIDRE, qui soutient le développement des maraîchages féminins, avec laquelle nous avons hâte de collaborer. Bref, le champ des possibles est presque infini. A nous de l’exploiter, dans le cadre de nos statuts.
• Les questions de la rémunération des familles-graines seront abordées en juin, lors de la première répartition des « revenus carbone » dans la sous-préfecture de Linko. Nous veillerons à ce qu’une part de ces revenus soit consacrées aux familles-graines et aux communautés villageoises. Et ceci fera l’objet de délibérations au sein du Comité Coopératif (constitué, on s’en souvient, en majorité de femmes). Pour les superviseurs, notre ambition est de sécuriser au maximum leur emploi, au moins pendant les trois ans de la phase de plantation. Après avoir commencé tout au début par des contrats de 6 mois, puis de 10 mois, ielles ont désormais des contrats de 12 mois. Maintenant nous cherchons des solutions pour leur garantir également de véritables prestations sociales. Nous payons depuis le début des montants pour résoudre les situations de maladie et pour financer leur prévoyance, mais nous souhaitons une gestion de ces assurances accident/maladie respectivement caisse de retraite par des organismes spécialisés.
• La tension entre le consentement libre et éclairé et la pression sociale liée à la constitution de la Coopérative est complexe. Le but de toutes les institutions de gouvernance des biens communs telles que suggérées par Elinor Ostrom est justement d’introduire des règles, et donc des contraintes, pour mieux gérer le bien commun. Et il est vrai que cela exerce une pression sociale. Où est la limite entre la pression du groupe (et les avantages liés à l’union des forces) et la coercition ? Comment garantir que cette pression sociale ne s’exerce pas au détriment des plus faibles ? Sur cette question, la délibération, préconisée par le CIRE, est certainement le meilleur instrument pour faire ressortir d’éventuelles doléances liées au « trop de pression du groupe ».
Merci infiniment à Nicola Banwell pour tous les échanges inspirants et pour ce rapport très utile, reflétant la perspective éthique occidentale. La prochaine supervision éthique sera à coup sûr guinéenne !

Les mesureuses en action

Mesureuses en action

A Linko les familles-graines se transforment en « mesureuses ». Le cycle de plantation de trois ans est arrivé à son terme en 2024 et il n’est plus nécessaire de récolter des graines pour ensemencer de nouveaux terrains à Linko. Pour conserver le lien qui nous unit aux 370 familles-graines (principalement des femmes), nous leur avons proposé d’adopter un nouveau rôle, tout aussi essentiel, celui de « mesureuses ».

En effet, il est capital de connaître chaque année l’état de chacune des 840 parcelles reboisées depuis 2021. Ainsi ce seront les mesureuses qui visiteront les parcelles pour évaluer la croissance des arbres et vérifier leur bon entretien par les familles-terrains.

Dans chaque village nous avons constitué des binômes de mesureuses, chargées de la visite de 5 à 7 terrains dans un village proche (pour éviter toute forme de pression sociale). En tout, 187 binômes pour les 840 terrains du projet. Puisqu’ielles (il y a aussi des hommes parmi les familles-graines – et nous avons bien-sûr veillé à ce que les binômes ne soient pas mixtes) sont analphabètes à 99%, chaque binôme sera accompagné par un « guide » local, issu des Comités de Gestion Communautaire de chaque village, sachant utiliser un smartphone.

formation des guides  formation des guides à Linko

Dans chacun de nos 26 villages, nos superviseurs ont donc identifié une personne sachant maîtriser un smartphone. Ces personnes doivent être formées à l’application de géolocalisation QField et à la saisie de données dans un questionnaire en ligne. Mais lorsque la formation a eu lieu avec les 26 personnes, nous nous sommes aperçus que toutes ne disposaient pas d’un smartphone… Nous avons dû acheter 19 smartphones. Puis nous avons remarqué que leur maîtrise du smartphone se limitait à téléphoner et visionner des vidéos… Ce sont les aléas du terrain ! Au final, seuls 5 sur les 26 pouvaient véritablement servir de guides pour les mesureuses. Il a donc fallu trouver d’autres guides (sinon les 5 guides locaux en auraient pour 75 jours chacun). Nous les avons recrutés parmi les étudiant.e.s de l’ISAV qui étaient venus faire un stage sur notre projet en 2023. Puis il a fallu adapter le planning pour tenir compte des obligations de ces étudiant.e.s (remise des diplômes) et du ramadan (certains maris auraient pu être réticents à ce que leur femme joue leur rôle de mesureuse pendant le carême).

Les mesureuses ont commencé leurs visites début avril et l’ont terminé début mai, juste à temps pour préparer la réunion du comité coopératif avant l’Assemblée Générale des familles-terrains. 

Les 187 équipes de mesureuses et de mesureurs:

  • Ont visité 703 terrains
  • Ont parcouru plus de 650 kilomètres à pied dans les terrains
  • Ont mesuré 13’278 arbres du projet (inférieurs à 5m) et 5174 arbres déjà existants avant le projet (> 5m)
  • Ont évalué chaque fois: l’impact des feux, la qualité de l’entretien des terrains et les risques dus au bétail

C’est un travail de grande qualité pour une première tentative. Félicitations Mesdames et Messieurs ! Et merci, car cela permet au projet et aux familles-terrains de savoir exactement quelles parcelles sont bien (ou moins bien) entretenues et où les arbres poussent bien (ou moins bien). Ainsi il est facile de fournir des recommandations ciblées à chaque famille-terrain pour apporter les corrections nécessaires. Et en plus ces données correspondent aux images satellite !

8 mars – toutes soeurs

« En cette journée internationale des Droits des Femmes, célébrons la force, la résilience et la beauté de toutes les femmes ! Bonne fête à toutes les femmes de arboRise-Guidre ! #8Mars »

Seny Balamou, sylvicultrice de l’équipe Linko-Damaro

sororité

Notre projet ne serait rien sans toutes les femmes qui s’y engagent.

  • …comme récolteuses de graines,
  • …comme membres des Comités de Gestion Communautaires,
  • …comme déléguées de leur village dans le Comité Coopératif,
  • …comme mesureuses,
  • …comme superviseuses,
  • …comme sylvicultrices:

… des rôles multiples pour de multiples talents. MERCI Mesdames pour vos actions décisives !

Une lecture de référence en ce 8 mars: L’autre langue des femmes, de Léonora Miano.

L'autre langue des femmes

Et de trois !

Présentation à Diassodou

Diassodou, nous voici !

La campagne de reforestation 2025 vient de commencer avec dorénavant trois équipes de cinq personnes sur le terrain !

On se souvient qu’arboRise est actuellement présente dans deux régions :

  • A Linko – Damaro – Konsankoro (zone 1, en vert ci-dessous)
  • A Samana – Diassodou&Karala – Sokourala – Koumandou (zone 2, en bleu ci-dessous)

Trois zones

La planification de la zone 1 prévoit de reboiser 500 hectares par année. Etaler l’effort sur plusieurs années permettait de contenir les ressources nécessaires dans des limites raisonnables. L’inconvénient est que la séquestration de CO2 et donc les revenus carbone sont très faibles pendant de longues années.

Planification

C’est pour cela que nous avons opté pour un planning plus serré dans la zone 2, avec un deuxième cycle de plantation qui commence une année après le premier cycle. Ainsi, après avoir lancé le reboisement dans la sous-préfecture de Samana en 2024, nous lançons les opérations dans la sous-préfecture de Diassodou en 2025.

Comme avant l’ouverture de chaque sous-préfecture, nous avons procédé à une analyse détaillée du contexte de Diassodou : géographie humaine, zones protégées, couverture forestière et éligibilité, etc. Cette analyse nous permet de répartir l’effort de présentation du projet dans plusieurs groupes de villages. L’objectif de l’équipe de notre partenaire local GUIDRE, sur le terrain, est de présenter le projet à tous les villages de la région pour convaincre 25 villages de participer au projet.

groupes de villages

On voit ici la « photo de famille » après la présentation du projet aux autorités de la sous-préfecture de Diassodou:

présentation aux autorités

Puis l’équipe présente le projet dans toutes les communautés villageoises de la sous-préfecture, comme ici :

présentation au village signature convention village

Dans les villages qui décident rapidement de rejoindre le projet, l’équipe conclut les conventions avec les familles-graines et les familles-terrains intéressées. Et la délimitation des terrains peut avoir lieu.

convention famille-graine délimitation des parcelles

Audit de validation

audit de validation
Nous avons pu réaliser l’audit de validation de notre projet 😊 Pour l’équipe technique de South Pole, Nicolò, Tosca et Nele, c’est le couronnement de beaucoup d’efforts et de travail. Ce sont elleux qui ont rédigé le Project Description Document soumis à Gold Standard et audité ces derniers jours sur le terrain. Ce document décrit comment notre projet répond à toutes les exigences du standard de certification.
Avant de commencer l’audit, quelques journées de préparatifs ont été bienvenues, avec nos partenaires de South Pole et de GUIDRE. Notre objectif était de faciliter au maximum le travail des auditeurs en planifiant les activités avec les villages et en préparant les documents nécessaires. Bien entendu, comme avant un examen, c’était l’occasion de répéter ensemble les points forts de notre projet et d’anticiper d’éventuelles questions «pièges». Mais comme chacun sait, ce n’est pas juste avant un examen qu’il faut apprendre : il faut s’y prendre bien à l’avance, comme nous l’avons fait, consciencieusement, depuis trois ans.
approche à pied  approche en moto
Les terrains étant choisis aléatoirement, ils étaient peu accessibles, donc l’approche se faisait à moto et à pied
a proximité d'un village  le centre d'une placette de mesure
Le but était toujours la placette de mesure, au centre d’un rayon de 14,11m (625 m2) [40 placettes pour 500 ha]

Les deux auditeurs, Kuldeep et Manish, de la société Earthood, accompagnés de leur interprète, sont arrivés à Linko le soir du mardi 10 décembre et l’audit proprement dit s’est déroulé du 11 au 16. Ils avaient préalablement demandé à vérifier 48 documents du projet, comme par exemple les listes de participants aux formations, les comptes-rendus de la consultation des parties prenantes, etc.

Sur place, Kuldeep, l’auditeur responsable des aspects forestiers, s’est rendu sur 15 terrains choisis aléatoirement pour y vérifier les mesures de la baseline. Quant à Manish, responsable des aspects sociaux, il a interviewé plus de 50 personnes (familles graines, familles terrain, CGC, autorités, etc.) dans huit villages. Venant d’Inde il a bien sûr fallu assurer la traduction et répondre à leurs innombrables questions.

Diagnostic de la placette  Audit de la placette
 Mesure de la hauteur au clinomètre
Ama Diallo mesure la circonférence à hauteur de poitrine et Benoît Lelano mesure la hauteur avec le clinomètre.
 
Tant chez GUIDRE que chez South Pole il y a les acrobates pour mesurer la hauteur avec la perche graduée 🙂 
 
Tous les interviews des bénéficiaires se déroulent selon un protocole rigoureux et sont documentés.
Ensemble nous sommes également allés présenter le projet aux autorités de la sous-préfecture de Damaro, dans laquelle nous étendons nos activités dès 2025:
Présentation du projet aux chefs de village de Damaro
Au début les relations étaient relativement formelles, puis au fil du séjour, nous avons pu créer des liens plus personnels. Il faut dire que nous vivions tous les uns avec les autres 24h sur 24 dans un espace restreint, avec peu de moments seuls. Pas une seule tension malgré nos différences d’origines, de langues, de religions et de genres différents 😊
 
A gauche, notre cadre de vie pendant 5 jours. A droite: Nicolò et Edouard écaillent les poissons

Et alors ? avons-nous réussi l’examen ? Notre impression de cet audit de validation est bonne. Manish et Kuldeep ne nous ont communiqué que des améliorations mineures. Nous connaîtrons le résultat ces prochains mois. Les auditeurs et Gold Standard ont en effet la possibilité de procéder à trois « rounds » de questions-réponses, qui durent chaque fois environ 2 mois. Le verdict final tombera donc au plus tard en juin, avec très probablement, des demandes d’améliorations à apporter au projet d’ici aux audits suivants. Ceux-ci auront pour objectifs de vérifier que le projet continue à respecter les règles du standard et que les mesures dendrométriques sont réalisées dans les règles de l’art.

Mais pour l’instant toute l’équipe du projet mérite de vifs remerciements et un repos bienvenu.

Etablir les placettes de mesure

Visualiser le centre de la placette

Ce deuxième semestre est principalement consacré à l’établissement de placettes de mesure sur un échantillon représentatif de terrains. Ces placettes servirons à mesurer la croissance des arbres pendant 20 ans. Chaque placette est un cercle de 14,11 mètres de diamètre, dont il faut fixer le centre et baliser la circonférence.

fixer le centre de la placette Un rayon de 14,11 mètres

Pour garantir la représentativité nous estimons que 40 placettes de mesure par strate de 500 ha seront suffisantes pour réduire l’intervalle d’incertitude en dessous des valeurs cibles définies par le standard. La taille définitive de l’échantillon sera fixée en fonction de l’hétérogénéité de la végétation sur les terrains. C’est notre partenaire South Pole qui détermine aléatoirement l’emplacement des placettes (sur quels terrains et à quel endroit du terrain). South Pole a également créé un formulaire digital qui permet à l’équipe de GUIDRE d’envoyer directement les résultats des mesures à South Pole.

Coordonnées des placettes Formulaire Kobo

…car il ne s’agit pas uniquement d’établir la placette mais également de faire un relevé précis (espèce, circonférence, hauteur) de tous les arbres existants sur la placette avant le début de nos activités en 2021.

Numérotation des arbres  Marquage des arbres

En septembre et jusqu’à mi-octobre, l’équipe a dû faire face à des orages inhabituellement forts pour cette période de l’année (ce qui est confirmé par les relevés météo ainsi que par les médias : https://quoideneuf.info/article/cote-divoire-les-plus-fortes-quantites-de-pluies-en-aout-ont-ete-enregistrees-a-korhogo-odienne-et-man-sodexam

Motos dans l'eau

Comment partager les revenus ?

L’un des objectifs de la Coopérative, et le rôle principal du Comité Coopératif, est d’élaborer une clé de répartition des revenus carbone. En effet, ce n’est certainement pas à arboRise de définir comment ces revenus seront partagés entre les coopérateurs. Ce choix doit être fait par les premiers concernés, en fonction des traditions et des usages locaux.

Mais quels seront ces critères ? et comment les pondérer ? Doit-on tenir compte de l’effort et du mérite ou au contraire distribuer les revenus de manière uniforme ? La fatalité peut-elle être invoquée pour justifier certains résultats décevants ? etc.

Plutôt que de discuter de ces critères de manière abstraite, nous avons opté pour les jeux sérieux, plus efficaces. Concrètement, nous avons utilisé des bâches préimprimées sur lesquelles figuraient plusieurs cas de figure, comme ici où il s’agissait de répartir les revenus en fonction des aléas subis par les propriétaires des terrains :

bâche préimprimée

Chaque membre du comité coopératif disposait de 20 pièces de monnaie (symboliques) représentant les revenus carbone du projet et avait pour tâche de les répartir entre les 10 situations présentées sur la bâche, puis de commenter son choix devant ses pairs.

le comité coopératif  répartition - verteilung - sharing

Au fil de la journée un consensus s’est rapidement dégagé sur les principes de répartition des revenus carbone, par exemple :

  • Le respect des règles de la coopérative par chaque coopérateur doit être récompensé proportionnellement à l’effort que coûte le respect de chaque règle. Par exemple certaines règles « coûteuses » (installation des pares-feux autour des terrains) doivent être mieux rémunérées que les règles simples (installation des rubalises pour signaler les terrains)
  • Bien sûr que ceux qui s’engagent beaucoup pour favoriser la croissance des arbres sur leurs terrains doivent être récompensés, mais il faut aussi donner un peu aux « non-méritants » car sinon ils risquent de quitter le projet
  • Il faut (très clairement) récompenser le résultat (la densité et la hauteur des arbres sur les terrains) et pas l’effort qui a été nécessaire pour obtenir ce résultat
  • Les facteurs extérieurs (infertilité du terrain, feux, etc.) ne sont pas à considérer comme des fatalités : c’est la responsabilité de la famille-terrain si elle a choisi un terrain peu propice ou si son terrain a été touché par des feux.

Les jours suivants, nous avons répété le même exercice des bâches dans les 26 villages, à raison de 2 villages par jour, avec toutes les familles-terrains du village et en présence des 2 membres du comité coopératif du village. L’idée était de montrer aux familles-terrains la complexité de la tâche du Comité Coopératif, et cela a aussi permis d’exprimer tout haut ce que tout le monde pense tout bas : à la fin ce seront ceux qui auront des résultats qui recevront le plus de revenus carbone. Un autre enseignement, rassurant, est qu’il n’y a pas de véritables différences entre les villages : les choix de répartition sont assez homogènes.

Tout à la fin de l’exercice des bâches, nous avons demandé dans chaque village « quelle part de vos revenus carbone seriez-vous prêts à partager librement avec votre village ? ». La plupart des participant a indiqué être disposé à partager environ 10% de ses revenus carbone avec sa communauté. Avec cela les villages pourront développer leurs infrastructures (puits, maraîchages, poste de santé, école…).

Nous avons également échangé avec les familles-terrains au sujet de leurs coûts d’opportunité. En effet, si ces cultivateurs prêtent des terrains pour qu’ils soient reboisés, ils renoncent potentiellement à des revenus issus de leurs cultures. Nous nous sommes donc plongés avec eux dans les détails de la culture du riz de coteau pour en comprendre tous les aspects (rendements, dépenses, durée des cultures, durées des jachères, etc.).

partage des revenus  qui récompenser

Au total, dans les 26 villages, 255 personnes, soit 88% de toutes les familles-terrains, ont participé à ce processus de délibérations. Pour arboRise, le reboisement participatif n’est pas un vain mot. C’est essentiel que chacun.e ait son mot à dire pour que tous.te.s s’approprient le projet.

Merci à la Fondation Somaha d’avoir contribué à rendre possible toute cette concertation.

fondation Somaha

Selon notre expérience, l’un des leviers du changement, dans toute organisation ou groupe social, ce sont les leaders. Et notre processus vise également à faciliter l’émergence de nouveaux leaders, légitimé.e.s par des élections transparentes dans leur village, puis au niveau sous-préfectoral, au sein de la Coopérative. Bien entendu, les responsables politiques actuels (Sous-préfet, Maire de Linko, chefs de villages) sont associés au processus. Ils se félicitent de la dynamique initiée par le projet dans la région. En effet, nous sommes convaincus que c’est la mise en réseau des leaders (anciens et nouveaux !) qui sera décisive.

Elections à la Coopérative

En octobre de l’année passée nous avions fondé la Coopérative des familles-terrains de Linko pour bien gérer le bien commun que sont les nouvelles forêts arboRise (voir notre reportage ici) et ce 9 juillet 2024 a eu lieu l’Assemblée Générale de la Coopérative. Cette année il s’agissait de faire élire les organes de la coopérative :

organes de la coopérative de Linko

En prévision de l’élection des 26 membres du Comité Coopératif, chaque village avait préalablement élu deux représentant.e.s, un homme et une femme. Lors de l’AG nous avons très simplement utilisé un chapeau dans lequel étaient placés 14 billets de Femmes et 12 billets d’Hommes. Chaque village a tiré un billet au hasard et c’est ainsi que nous avons obtenu un Comité Coopératif constitué en majorité de femmes, toutes reconnues dans leur village, et ainsi visibles au niveau de la sous-préfecture.

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A ce propos, dans certains milieux on s’apitoie volontiers sur la condition de la femme africaine. Pour notre part, nous observons des signes tangibles de leur influence, qui contredisent cette image de faiblesse. Ainsi, dans un village de la sous-préfecture, les femmes ont destitué le chef du village qui rechignait à ce que le village rejoigne le projet ! Autre exemple : c’est une femme du village de Booko qui dirige la confrérie des chasseurs de toute la sous-préfecture, une fonction extrêmement puissante et qui implique des pouvoirs coutumiers importants. Troisième indice : le fait d’avoir exigé une majorité de femmes au comité coopératif n’a jamais été contesté, ni même débattu. Pour clore cette parenthèse, une lecture inspirante à ce sujet : L’autre langue des femmes de Léonora Miano.

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…Ensuite nous sommes passés à l’élection des 5 membres de l’Administration. Les coopérateurs de chaque village ont d’abord choisi le candidat de leur village, puis toute la salle a voté à main levée pour chaque candidat, les 5 avec le plus de voix ont été élus. Nous sommes très contents que l’Imam Bangaly Condé ait été élu directeur de l’administration. Il est cultivé, a vécu longtemps en Côte d’Ivoire et s’engage depuis le début dans le projet de manière exemplaire.

Assemblée Générale de la Coopérative Saidou Marega

Le jour après l’Assemblée Générale, nous avions organisé une formation pour les 5 membres de l’administration et les 26 membres du Comité Coopératif et leurs suppléants pour les préparer à leur rôle et responsabilités.

  • Pour l’Administration c’est simple : ils doivent gérer le budget et organiser la prochaine Assemblée Générale (et ainsi soulager notre partenaire GUIDRE qui s’en occupait jusqu’ici)
  • Pour le Comité Coopératif, c’est plus ardu : il s’agit de mandater les mesureureuses pour que chaque terrain soit visité et évalué, puis, sur la base de leur rapport, d’élaborer une clé de répartition des revenus carbone. En effet, ce n’est certainement pas à arboRise de définir les critères de répartition de ces revenus. Ce choix doit être fait par les premiers concernés, en fonction des traditions et des usages locaux.

Mais selon quels critères répartir les revenus carbone ? vous le découvrirez ici.

Mesures dendrométriques

Mesure du DBH

Combien de CO2 une forêt absorbe-t-elle par année dans la région du projet ? C’est la question essentielle à laquelle tous les projets de reforestation doivent répondre pour obtenir une certification et attirer des bailleurs.

La solution la plus simple consiste à s’appuyer sur des études scientifiques ayant mesuré la croissance de la biomasse de forêts similaires. Le problème : très peu d’articles portant sur des forêts africaines ont été publiés à ce sujet. Fort heureusement l’équipe de recherche de Hérault et al. a quantifié la croissance des arbres de plusieurs espèces de notre projet dans la région de Korhogo en Côte d’Ivoire, à 400km de notre projet, et cela sur 30 ans (The long-term performance of 35 tree species of sudanian West Africa in pure and mixed plantings).

Une autre approche, plus précise, vise à mesurer la biomasse de forêts matures dans la région du projet, pour déduire ensuite la croissance annuelle. C’est ce que nous avons réalisé avec notre partenaire EcoAct.

Avant de commencer il faut identifier avec précision l’âge des forêts à mesurer. L’objectif étant de connaître la croissance de biomasse moyenne par année et par hectare. Pour ce faire EcoAct a identifié toutes les forêts de 20 ans et toutes les forêts de 10 ans de la sous-préfecture de Samana. Puis nous avons appliqué quelques critères de sélection supplémentaires pour obtenir des forêts peu dégradées et faciles d’accès.

sélection des forêts

Grâce à cette présélection nous avons pu identifier les points GPS de 5 forêts de 10 ans et 5 forêts de 20 ans (sachant que nous n’aurions le temps de ne mesurer que quatre de chaque catégorie).

Sur place, il n’est pas recommandé de se rendre tout seul dans une forêt, surtout lorsque l’on est étranger. Il est plus respectueux et prudent de se faire connaître aux autorités du village le plus proche, pour expliquer notre intention, recevoir des conseils et se faire accompagner. Ces discussions peuvent prendre du temps, car il y a aussi beaucoup de questions sur le projet, mais cela vaut la peine. Le soutien du village et capital.

Ensuite, il faut se rendre dans la forêt. Cela requiert souvent de longues marches d’approche, en peine brousse ou en forêt. La machette est essentielle pour progresser, et il est préférable de ne rien avoir oublié dans le véhicule (matériel de mesure, imperméable, bottes, eau, etc.).

Une fois le point GPS atteint, nous avons, dans chaque forêt, délimité un périmètre de 30m x 30m à l’aide de rubalises, pour savoir exactement quels arbres intégrer dans les mesures et quels arbres en exclure parce qu’ils se situent en dehors du périmètre de 900 m2.

Puis il faut procéder méthodiquement pour s’assurer de ne pas oublier un arbre. Concrètement, une personne mesure le diamètre à hauteur de poitrine, une personne mesure la hauteur, une personne indique l’espèce et marque l’arbre, pour éviter de le remesurer une deuxième fois, et une personne note ces informations. Pour reconnaître les espèces, il est nécessaire de s’appuyer sur les compétences locales.

dendrométrie

Au final, nous avons mesuré plus de 1500 arbres en six jours sur 13 terrains (en plus des 4 forêts de 10 et de 20 ans, nous avons également mesuré les arbres sur des terrains reboisés par arboRise en 2021 et 2022). C’est un travail fastidieux et pas dénué de risques, parfois sous la pluie et dans une végétation foisonnante, mais c’est un travail essentiel qui nous permettra de calculer avec précision la biomasse, et donc le carbone, et donc les revenus potentiels du projet, et donc les dépenses possibles.

Merci Stéphane, merci Julia pour votre engagement concret sur le terrain dans des conditions difficiles

Ce premier aperçu des forêts nous a fourni quelques indications provisoires:

  • La diversité des espèces dépend du sol : certaines forêts de 20 ans étaient presque monospécifiques avec une dominance du Uapaca Somon qui, comme le hêtre dans les forêts tempérées, s’impose aux dépens de toutes les autres espèces. Ceci doit nous inciter à procéder à des éclaircissements ciblés, pour maintenir la biodiversité (concept de forêt jardinée)
  • Sur les terrains reboisés en 2021 et 2022 il y a une grande variabilité en termes de densité : elle peut atteindre plus de 4500 tiges par hectare, mais certaines parties des parcelles restent encore nues 2 ans après l’ensemencement. Cela est dû au sol.
  • On retrouve presque toujours les 10-15 mêmes espèces pionnières et on peut supposer que la régénération naturelle est efficace. Cela doit nous inciter à focaliser la récolte de graines sur les espèces rares parmi notre liste de 40 espèces.

Une fois les données récoltées, le travail d’analyse peut commencer. Les sylviculteurs et les spécialistes de la forêt ont depuis longtemps appris à estimer le volume d’une grume (un tronc ébranché) lorsqu’on déforestait l’Europe pour construire des bateaux. Fondamentalement il s’agit de calculer le volume d’un cylindre : Pi x rayon2 x hauteur. En réalité, un tronc n’est pas vraiment cylindrique, mais plutôt conique. Et les proportions entre le diamètre et la hauteur varient en fonction du type de forêt (tempérée, tropicale, boréale, sèche, humide, pluviale, etc.). C’est pourquoi de nombreuses études ont tenté de trouver l’équation allométrique qui s’approche le plus d’un type de forêt donné. Certaines tentent même d’inclure le volume des branches dans l’équation. Il faut rappeler que ces équations sont assez fiables pour des plantations d’arbres de rente monospécifiques, mais dans des forêts naturelles constituées de plusieurs espèces cela devient rapidement approximatif et cela sous-estime généralement le volume de biomasse de la forêt.

Avec notre partenaire EcoAct (merci Margarita ! ), nous avons testé sept équations allométriques, spécifiques pour les forêts tropicales, et nous avons retenu l’équation dont la corrélation avec la valeur NDVI du point GPS était maximale : l’équation de Djomo et al. (2010)* qui considère le diamètre et la densité du bois (puisque nous n’avons pu mesurer toutes les hauteurs): B = exp(-1,8623 + 2,4023 ln(D) – 0,3414 ln(p))

* Adrien N. Djomo, Adamou Ibrahima, Joachim Saborowski, Gode Gravenhorst: Allometric equations for biomass estimations in Cameroon and pan moist tropical equations including biomass data from Africa, Forest Ecology and Management 260 (2010) 1873–1885, 2010

équations allométriques

Ces valeurs indiquent le poids de la biomasse sèche. Il faut ensuite retirer le poids de tous les atomes qui ne sont pas du carbone (x 0.47), puis ajouter le poids des deux atomes d’oxygène (x 3.67) pour obtenir le poids du CO2 des troncs de chaque hectare. A cela, par convention, on ajoute 20% pour tenir compte du CO2 souterrain, présent dans les racines.

Il est ainsi possible de dire que, dans la région du projet, les arbres d’une forêt ont absorbé 325 tonnes de CO2 par hectare après 20 ans, donc 16 tonnes par année.

Puisque nous avons des valeurs pour des forêts de 2, 3, 10 et 20 ans, on peut estimer la courbe de croissance :

courbe de croissance de la biomasse

Il faut rappeler que nous avons ici affaire à des forêts de régénération naturelle, dont certaines ont probablement été dégradée (ainsi la biomasse de l’une des forêts de 10 ans est significativement inférieure aux autres). Or, notre approche de forêt jardinée devrait générer des futaies plus diversifiées, plus denses et moins dégradées, avec à la clé une plus grande quantité de biomasse.

Nous en reparlerons dans quelques années, lorsque nous ferons les premières mesures dendrométriques de nos forêts. Et à ce propos, certain.e.s d’entre vous peuvent peut-être nous aider à trouver un équipement de Terrestrial Laser Scanning, qui permet de mesurer exactement l’ensemble d’un arbre (pas seulement le diamètre à hauteur de poitrine et la hauteur), pour pouvoir inclure le CO2 absorbé par les branches, sans passer par une équation allométrique. Merci pour votre aide !

Terrestrial Laser Scanning