Mesures dendrométriques

Mesure du DBH

Combien de CO2 une forêt absorbe-t-elle par année dans la région du projet ? C’est la question essentielle à laquelle tous les projets de reforestation doivent répondre pour obtenir une certification et attirer des bailleurs.

La solution la plus simple consiste à s’appuyer sur des études scientifiques ayant mesuré la croissance de la biomasse de forêts similaires. Le problème : très peu d’articles portant sur des forêts africaines ont été publiés à ce sujet. Fort heureusement l’équipe de recherche de Hérault et al. a quantifié la croissance des arbres de plusieurs espèces de notre projet dans la région de Korhogo en Côte d’Ivoire, à 400km de notre projet, et cela sur 30 ans (The long-term performance of 35 tree species of sudanian West Africa in pure and mixed plantings).

Une autre approche, plus précise, vise à mesurer la biomasse de forêts matures dans la région du projet, pour déduire ensuite la croissance annuelle. C’est ce que nous avons réalisé avec notre partenaire EcoAct.

Avant de commencer il faut identifier avec précision l’âge des forêts à mesurer. L’objectif étant de connaître la croissance de biomasse moyenne par année et par hectare. Pour ce faire EcoAct a identifié toutes les forêts de 20 ans et toutes les forêts de 10 ans de la sous-préfecture de Samana. Puis nous avons appliqué quelques critères de sélection supplémentaires pour obtenir des forêts peu dégradées et faciles d’accès.

sélection des forêts

Grâce à cette présélection nous avons pu identifier les points GPS de 5 forêts de 10 ans et 5 forêts de 20 ans (sachant que nous n’aurions le temps de ne mesurer que quatre de chaque catégorie).

Sur place, il n’est pas recommandé de se rendre tout seul dans une forêt, surtout lorsque l’on est étranger. Il est plus respectueux et prudent de se faire connaître aux autorités du village le plus proche, pour expliquer notre intention, recevoir des conseils et se faire accompagner. Ces discussions peuvent prendre du temps, car il y a aussi beaucoup de questions sur le projet, mais cela vaut la peine. Le soutien du village et capital.

Ensuite, il faut se rendre dans la forêt. Cela requiert souvent de longues marches d’approche, en peine brousse ou en forêt. La machette est essentielle pour progresser, et il est préférable de ne rien avoir oublié dans le véhicule (matériel de mesure, imperméable, bottes, eau, etc.).

Une fois le point GPS atteint, nous avons, dans chaque forêt, délimité un périmètre de 30m x 30m à l’aide de rubalises, pour savoir exactement quels arbres intégrer dans les mesures et quels arbres en exclure parce qu’ils se situent en dehors du périmètre de 900 m2.

Puis il faut procéder méthodiquement pour s’assurer de ne pas oublier un arbre. Concrètement, une personne mesure le diamètre à hauteur de poitrine, une personne mesure la hauteur, une personne indique l’espèce et marque l’arbre, pour éviter de le remesurer une deuxième fois, et une personne note ces informations. Pour reconnaître les espèces, il est nécessaire de s’appuyer sur les compétences locales.

dendrométrie

Au final, nous avons mesuré plus de 1500 arbres en six jours sur 13 terrains (en plus des 4 forêts de 10 et de 20 ans, nous avons également mesuré les arbres sur des terrains reboisés par arboRise en 2021 et 2022). C’est un travail fastidieux et pas dénué de risques, parfois sous la pluie et dans une végétation foisonnante, mais c’est un travail essentiel qui nous permettra de calculer avec précision la biomasse, et donc le carbone, et donc les revenus potentiels du projet, et donc les dépenses possibles.

Merci Stéphane, merci Julia pour votre engagement concret sur le terrain dans des conditions difficiles

Ce premier aperçu des forêts nous a fourni quelques indications provisoires:

  • La diversité des espèces dépend du sol : certaines forêts de 20 ans étaient presque monospécifiques avec une dominance du Uapaca Somon qui, comme le hêtre dans les forêts tempérées, s’impose aux dépens de toutes les autres espèces. Ceci doit nous inciter à procéder à des éclaircissements ciblés, pour maintenir la biodiversité (concept de forêt jardinée)
  • Sur les terrains reboisés en 2021 et 2022 il y a une grande variabilité en termes de densité : elle peut atteindre plus de 4500 tiges par hectare, mais certaines parties des parcelles restent encore nues 2 ans après l’ensemencement. Cela est dû au sol.
  • On retrouve presque toujours les 10-15 mêmes espèces pionnières et on peut supposer que la régénération naturelle est efficace. Cela doit nous inciter à focaliser la récolte de graines sur les espèces rares parmi notre liste de 40 espèces.

Une fois les données récoltées, le travail d’analyse peut commencer. Les sylviculteurs et les spécialistes de la forêt ont depuis longtemps appris à estimer le volume d’une grume (un tronc ébranché) lorsqu’on déforestait l’Europe pour construire des bateaux. Fondamentalement il s’agit de calculer le volume d’un cylindre : Pi x rayon2 x hauteur. En réalité, un tronc n’est pas vraiment cylindrique, mais plutôt conique. Et les proportions entre le diamètre et la hauteur varient en fonction du type de forêt (tempérée, tropicale, boréale, sèche, humide, pluviale, etc.). C’est pourquoi de nombreuses études ont tenté de trouver l’équation allométrique qui s’approche le plus d’un type de forêt donné. Certaines tentent même d’inclure le volume des branches dans l’équation. Il faut rappeler que ces équations sont assez fiables pour des plantations d’arbres de rente monospécifiques, mais dans des forêts naturelles constituées de plusieurs espèces cela devient rapidement approximatif et cela sous-estime généralement le volume de biomasse de la forêt.

Avec notre partenaire EcoAct (merci Margarita ! ), nous avons testé sept équations allométriques, spécifiques pour les forêts tropicales, et nous avons retenu l’équation dont la corrélation avec la valeur NDVI du point GPS était maximale : l’équation de Djomo et al. (2010)* qui considère le diamètre et la densité du bois (puisque nous n’avons pu mesurer toutes les hauteurs): B = exp(-1,8623 + 2,4023 ln(D) – 0,3414 ln(p))

* Adrien N. Djomo, Adamou Ibrahima, Joachim Saborowski, Gode Gravenhorst: Allometric equations for biomass estimations in Cameroon and pan moist tropical equations including biomass data from Africa, Forest Ecology and Management 260 (2010) 1873–1885, 2010

équations allométriques

Ces valeurs indiquent le poids de la biomasse sèche. Il faut ensuite retirer le poids de tous les atomes qui ne sont pas du carbone (x 0.47), puis ajouter le poids des deux atomes d’oxygène (x 3.67) pour obtenir le poids du CO2 des troncs de chaque hectare. A cela, par convention, on ajoute 20% pour tenir compte du CO2 souterrain, présent dans les racines.

Il est ainsi possible de dire que, dans la région du projet, les arbres d’une forêt ont absorbé 325 tonnes de CO2 par hectare après 20 ans, donc 16 tonnes par année.

Puisque nous avons des valeurs pour des forêts de 2, 3, 10 et 20 ans, on peut estimer la courbe de croissance :

courbe de croissance de la biomasse

Il faut rappeler que nous avons ici affaire à des forêts de régénération naturelle, dont certaines ont probablement été dégradée (ainsi la biomasse de l’une des forêts de 10 ans est significativement inférieure aux autres). Or, notre approche de forêt jardinée devrait générer des futaies plus diversifiées, plus denses et moins dégradées, avec à la clé une plus grande quantité de biomasse.

Nous en reparlerons dans quelques années, lorsque nous ferons les premières mesures dendrométriques de nos forêts. Et à ce propos, certain.e.s d’entre vous peuvent peut-être nous aider à trouver un équipement de Terrestrial Laser Scanning, qui permet de mesurer exactement l’ensemble d’un arbre (pas seulement le diamètre à hauteur de poitrine et la hauteur), pour pouvoir inclure le CO2 absorbé par les branches, sans passer par une équation allométrique. Merci pour votre aide !

Terrestrial Laser Scanning

 

 

Collaboration avec l’EPFL

Ines Kamoun Aurèle Baretje

Quels facteurs naturels et anthropiques influencent-ils la croissance des arbres sur les terrains reboisés par arboRise ? Pour le savoir nous avons eu la chance que notre projet de recherche ait été sélectionné par l’EPFL dans le cadre des Design Projects. Dans ce cours, obligatoire, les étudiant.e.s en master du département ENAC ont la responsabilité d’apporter des réponses scientifiques à des problématiques fournies par des entreprises, collectivités, etc. Cette recherche appliquée représente environ 500 heures de travail pour chaque binôme, il s’agit donc d’une véritable analyse scientifique, supervisée par les professeurs de l’EPFL.

Notre projet a immédiatement intéressé Ines et Aurèle et nous avons eu la chance de bénéficier de leurs compétences pendant plusieurs mois (environ 2 jours par semaine pendant 15 semaines). Merci Ines, merci Aurèle ! Tous deux étudient les géosciences et maîtrisent donc sur le bout des doigts tous les outils d’analyse satellitaire. Ils ont été supervisés par le Professeur Devis Tuia. Le rapport rendu par Ines et Aurèle est une mine de renseignements. Il est consultable en détail ici: 240607_EPFL Design Project – Rapport final.

Il leur a d’abord fallu répartir les terrains que nous avons reboisés de 2021 à 2023 en plusieurs catégories (en gros les « bons » et les « mauvais » terrains) selon la croissance de la biomasse depuis la date d’ensemencement et comparativement à des terrains « neutres » de référence. Les données proviennent du satellite Sentinel 2, qu’arboRise a déjà fréquemment utilisé pour ses propres analyses. Nos deux chercheureuses ont choisi de focaliser les analyses sur le mois de février (2021, 2022, 2023, 2024), en pleine saison sèche, pour éviter le plus possible l’influence des herbacées sur les données.

Dans une deuxième étape, la baseline (les arbres présents sur les terrains avant le reboisement) a été retirée des données pour, là aussi, éviter toute influence externe au projet.

arbres matures

Troisièmement, de très nombreuses autres données – toutes de potentiels facteurs d’influence anthropiques ou naturels – ont été récoltées via divers satellites: pente, exposition, altitude, nature du sol, distance au village le plus proche, aux routes, aux cours d’eau, aux feux de brousse, etc. Les corrélations entre ces facteurs d’influence potentiels permettent de formuler de nombreuses hypothèses et de mieux comprendre la géographie de notre périmètre. Ainsi, par exemple :

  • Il y a une corrélation entre la longitude (Ouest-Est) et l’altitude et c’est normal : la chaîne de collines du Simandou qui borde notre périmètre à l’Ouest est plus élevée que le lit du fleuve Dion qui borde notre région à l’Est, donc notre région « penche » vers l’Est
  • La pente moyenne de nos terrains est donc logiquement plus forte à l’Ouest, à proximité du Simandou, qui est plus accidenté. Il est donc normal que la distance entre nos terrains y soit plus élevée, que dans les zones plus plates à l’Est, où il est facile de regrouper les terrains. Logiquement les routes sont plutôt à l’Est, et donc la proximité de nos terrains aux routes est plus importante à l’Est du périmètre.
  • On voit également que la nature du sol change selon l’altitude : des sols plus argileux à l’Ouest et plus sableux à L’Est, puisque le ruissellement va d’Ouest en Est.
  • On observe aussi de fortes corrélations, logiques, entre tous les facteurs liés à la nature du sol : taux d’azote ou de carbone organique, ph du sol, taille des fragments du sol, etc.

corrélations

Enfin, quatrièmement, Aurèle et Ines ont mesuré statistiquement le degré d’influence de chaque facteur sur la croissance des catégories de terrains (par exemple : est-ce que tous les terrains « bons » sont plus en altitude que tous les terrains « mauvais » ?). Ici, seules les influences statistiquement significatives sont présentées :

  • Il y a d’abord l’influence de la nature du sol. Les sols sableux et avec un ph proche de la neutralité sont plus propices à la croissance. C’est étonnant, on aurait pu attendre que les sols plus riches en argile, qui retiennent mieux l’eau, soit plus favorables. Surprenant également le fait que la richesse en azote et en carbone organique soit plutôt sur les « mauvais » terrains, alors que ces facteurs favorisent généralement la croissance végétale.
  • La pente a très clairement un impact négatif sur la croissance, certainement à cause du ruissellement des eaux de pluies (l’eau reste moins longtemps sur le sol et emporte les nutriments avec elle), surtout sur les terrains à « baseline » faible (baseline : la végétation existante sur le terrain lors de l’ensemencement). Cela semble logique : la végétation présente sur le terrain freine le ruissellement de l’eau. Cela peut aussi s’expliquer par les feux de pâturage, allumés en bas des coteaux et qui remontent plus facilement les pentes que les terrains plats.
  • L’exposition du terrain vers le Sud est favorable, puisque l’ensoleillement favorise la photosynthèse
  • La proximité de cours d’eau et la proximité des feux est négative. Il est très intéressant de constater que seuls les feux récents (2024) ont un impact visible. Les feux en 2021, 2022 et 2023 ne ressortent pas comme un facteur d’influence, probablement parce que les arbres se régénèrent rapidement après avoir été touché par un feu. Ce sont en particulier les feux de pâturage (qui stimulent la germination de jeunes pousses d’herbe dont le bétail est friand), allumés à proximité des cours d’eau, qui touchent parfois les terrains reboisés.
  • Il est très intéressant de constater que la distance au village le plus proche ou la distance aux pistes et sentiers n’influence pas la croissance de la biomasse.
  • L’année de plantation a également un impact. Cela est peut-être dû au méthodes d’arboRise, qui se sont perfectionnées avec le temps, ou à la pluviométrie qui varie chaque année.
  • Il semble qu’il y a une meilleure croissance des parcelles dont les graines sont récoltées et ensemencées juste avant la saison des pluies. Il reste difficile de savoir si cela est lié aux espèces semées dans ce groupe où à la période plus humide.
  • Enfin il semble que les jeunes arbres croissent mieux, là où la « baseline » est faible. C’est peut-être un effet de la compétition naturelle : la végétation existante occupe le terrain, absorbe l’eau et réduit l’ensoleillement.

De manière générale, à part les feux récents, il semble que ce sont principalement des facteurs naturels qui influencent la croissance des arbres. Bien sûr on peut identifier des villages sur les terrains desquels les arbres poussent mieux que dans d’autres villages, mais cela est probablement plutôt dû aux facteurs naturels (nature du sol, pente, exposition, etc.), les villages « peu propices » étant plutôt situés à l’Ouest dans une zone accidentée.

Ces résultats sont donc très utiles pour déterminer le choix des terrains futurs, où il conviendra d’éviter les pentes, surtout en bordure de cours d’eau, et d’éviter les terrains à forte végétation existante.

Un immense MERCI à Aurèle et Ines qui se sont véritablement passionné pour le sujet, ainsi qu’à Devis Tuia, qui a eu la gentillesse de choisir notre projet de recherche. Tout comme à l’ETHZ, merci également à l’EPFL de fournir ainsi des compétences scientifiques de grande qualité à des organisations telles qu’arboRise.