Quels facteurs naturels et anthropiques influencent-ils la croissance des arbres sur les terrains reboisés par arboRise ? Pour le savoir nous avons eu la chance que notre projet de recherche ait été sélectionné par l’EPFL dans le cadre des Design Projects. Dans ce cours, obligatoire, les étudiant.e.s en master du département ENAC ont la responsabilité d’apporter des réponses scientifiques à des problématiques fournies par des entreprises, collectivités, etc. Cette recherche appliquée représente environ 500 heures de travail pour chaque binôme, il s’agit donc d’une véritable analyse scientifique, supervisée par les professeurs de l’EPFL.
Notre projet a immédiatement intéressé Ines et Aurèle et nous avons eu la chance de bénéficier de leurs compétences pendant plusieurs mois (environ 2 jours par semaine pendant 15 semaines). Merci Ines, merci Aurèle ! Tous deux étudient les géosciences et maîtrisent donc sur le bout des doigts tous les outils d’analyse satellitaire. Ils ont été supervisés par le Professeur Devis Tuia. Le rapport rendu par Ines et Aurèle est une mine de renseignements. Il est consultable en détail ici: 240607_EPFL Design Project – Rapport final.
Il leur a d’abord fallu répartir les terrains que nous avons reboisés de 2021 à 2023 en plusieurs catégories (en gros les « bons » et les « mauvais » terrains) selon la croissance de la biomasse depuis la date d’ensemencement et comparativement à des terrains « neutres » de référence. Les données proviennent du satellite Sentinel 2, qu’arboRise a déjà fréquemment utilisé pour ses propres analyses. Nos deux chercheureuses ont choisi de focaliser les analyses sur le mois de février (2021, 2022, 2023, 2024), en pleine saison sèche, pour éviter le plus possible l’influence des herbacées sur les données.
Dans une deuxième étape, la baseline (les arbres présents sur les terrains avant le reboisement) a été retirée des données pour, là aussi, éviter toute influence externe au projet.
Troisièmement, de très nombreuses autres données – toutes de potentiels facteurs d’influence anthropiques ou naturels – ont été récoltées via divers satellites: pente, exposition, altitude, nature du sol, distance au village le plus proche, aux routes, aux cours d’eau, aux feux de brousse, etc. Les corrélations entre ces facteurs d’influence potentiels permettent de formuler de nombreuses hypothèses et de mieux comprendre la géographie de notre périmètre. Ainsi, par exemple :
- Il y a une corrélation entre la longitude (Ouest-Est) et l’altitude et c’est normal : la chaîne de collines du Simandou qui borde notre périmètre à l’Ouest est plus élevée que le lit du fleuve Dion qui borde notre région à l’Est, donc notre région « penche » vers l’Est
- La pente moyenne de nos terrains est donc logiquement plus forte à l’Ouest, à proximité du Simandou, qui est plus accidenté. Il est donc normal que la distance entre nos terrains y soit plus élevée, que dans les zones plus plates à l’Est, où il est facile de regrouper les terrains. Logiquement les routes sont plutôt à l’Est, et donc la proximité de nos terrains aux routes est plus importante à l’Est du périmètre.
- On voit également que la nature du sol change selon l’altitude : des sols plus argileux à l’Ouest et plus sableux à L’Est, puisque le ruissellement va d’Ouest en Est.
- On observe aussi de fortes corrélations, logiques, entre tous les facteurs liés à la nature du sol : taux d’azote ou de carbone organique, ph du sol, taille des fragments du sol, etc.
Enfin, quatrièmement, Aurèle et Ines ont mesuré statistiquement le degré d’influence de chaque facteur sur la croissance des catégories de terrains (par exemple : est-ce que tous les terrains « bons » sont plus en altitude que tous les terrains « mauvais » ?). Ici, seules les influences statistiquement significatives sont présentées :
- Il y a d’abord l’influence de la nature du sol. Les sols sableux et avec un ph proche de la neutralité sont plus propices à la croissance. C’est étonnant, on aurait pu attendre que les sols plus riches en argile, qui retiennent mieux l’eau, soit plus favorables. Surprenant également le fait que la richesse en azote et en carbone organique soit plutôt sur les « mauvais » terrains, alors que ces facteurs favorisent généralement la croissance végétale.
- La pente a très clairement un impact négatif sur la croissance, certainement à cause du ruissellement des eaux de pluies (l’eau reste moins longtemps sur le sol et emporte les nutriments avec elle), surtout sur les terrains à « baseline » faible (baseline : la végétation existante sur le terrain lors de l’ensemencement). Cela semble logique : la végétation présente sur le terrain freine le ruissellement de l’eau. Cela peut aussi s’expliquer par les feux de pâturage, allumés en bas des coteaux et qui remontent plus facilement les pentes que les terrains plats.
- L’exposition du terrain vers le Sud est favorable, puisque l’ensoleillement favorise la photosynthèse
- La proximité de cours d’eau et la proximité des feux est négative. Il est très intéressant de constater que seuls les feux récents (2024) ont un impact visible. Les feux en 2021, 2022 et 2023 ne ressortent pas comme un facteur d’influence, probablement parce que les arbres se régénèrent rapidement après avoir été touché par un feu. Ce sont en particulier les feux de pâturage (qui stimulent la germination de jeunes pousses d’herbe dont le bétail est friand), allumés à proximité des cours d’eau, qui touchent parfois les terrains reboisés.
- Il est très intéressant de constater que la distance au village le plus proche ou la distance aux pistes et sentiers n’influence pas la croissance de la biomasse.
- L’année de plantation a également un impact. Cela est peut-être dû au méthodes d’arboRise, qui se sont perfectionnées avec le temps, ou à la pluviométrie qui varie chaque année.
- Il semble qu’il y a une meilleure croissance des parcelles dont les graines sont récoltées et ensemencées juste avant la saison des pluies. Il reste difficile de savoir si cela est lié aux espèces semées dans ce groupe où à la période plus humide.
- Enfin il semble que les jeunes arbres croissent mieux, là où la « baseline » est faible. C’est peut-être un effet de la compétition naturelle : la végétation existante occupe le terrain, absorbe l’eau et réduit l’ensoleillement.
De manière générale, à part les feux récents, il semble que ce sont principalement des facteurs naturels qui influencent la croissance des arbres. Bien sûr on peut identifier des villages sur les terrains desquels les arbres poussent mieux que dans d’autres villages, mais cela est probablement plutôt dû aux facteurs naturels (nature du sol, pente, exposition, etc.), les villages « peu propices » étant plutôt situés à l’Ouest dans une zone accidentée.
Ces résultats sont donc très utiles pour déterminer le choix des terrains futurs, où il conviendra d’éviter les pentes, surtout en bordure de cours d’eau, et d’éviter les terrains à forte végétation existante.
Un immense MERCI à Aurèle et Ines qui se sont véritablement passionné pour le sujet, ainsi qu’à Devis Tuia, qui a eu la gentillesse de choisir notre projet de recherche. Tout comme à l’ETHZ, merci également à l’EPFL de fournir ainsi des compétences scientifiques de grande qualité à des organisations telles qu’arboRise.