Comment partager les revenus ?

L’un des objectifs de la Coopérative, et le rôle principal du Comité Coopératif, est d’élaborer une clé de répartition des revenus carbone. En effet, ce n’est certainement pas à arboRise de définir comment ces revenus seront partagés entre les coopérateurs. Ce choix doit être fait par les premiers concernés, en fonction des traditions et des usages locaux.

Mais quels seront ces critères ? et comment les pondérer ? Doit-on tenir compte de l’effort et du mérite ou au contraire distribuer les revenus de manière uniforme ? La fatalité peut-elle être invoquée pour justifier certains résultats décevants ? etc.

Plutôt que de discuter de ces critères de manière abstraite, nous avons opté pour les jeux sérieux, plus efficaces. Concrètement, nous avons utilisé des bâches préimprimées sur lesquelles figuraient plusieurs cas de figure, comme ici où il s’agissait de répartir les revenus en fonction des aléas subis par les propriétaires des terrains :

bâche préimprimée

Chaque membre du comité coopératif disposait de 20 pièces de monnaie (symboliques) représentant les revenus carbone du projet et avait pour tâche de les répartir entre les 10 situations présentées sur la bâche, puis de commenter son choix devant ses pairs.

le comité coopératif  répartition - verteilung - sharing

Au fil de la journée un consensus s’est rapidement dégagé sur les principes de répartition des revenus carbone, par exemple :

  • Le respect des règles de la coopérative par chaque coopérateur doit être récompensé proportionnellement à l’effort que coûte le respect de chaque règle. Par exemple certaines règles « coûteuses » (installation des pares-feux autour des terrains) doivent être mieux rémunérées que les règles simples (installation des rubalises pour signaler les terrains)
  • Bien sûr que ceux qui s’engagent beaucoup pour favoriser la croissance des arbres sur leurs terrains doivent être récompensés, mais il faut aussi donner un peu aux « non-méritants » car sinon ils risquent de quitter le projet
  • Il faut (très clairement) récompenser le résultat (la densité et la hauteur des arbres sur les terrains) et pas l’effort qui a été nécessaire pour obtenir ce résultat
  • Les facteurs extérieurs (infertilité du terrain, feux, etc.) ne sont pas à considérer comme des fatalités : c’est la responsabilité de la famille-terrain si elle a choisi un terrain peu propice ou si son terrain a été touché par des feux.

Les jours suivants, nous avons répété le même exercice des bâches dans les 26 villages, à raison de 2 villages par jour, avec toutes les familles-terrains du village et en présence des 2 membres du comité coopératif du village. L’idée était de montrer aux familles-terrains la complexité de la tâche du Comité Coopératif, et cela a aussi permis d’exprimer tout haut ce que tout le monde pense tout bas : à la fin ce seront ceux qui auront des résultats qui recevront le plus de revenus carbone. Un autre enseignement, rassurant, est qu’il n’y a pas de véritables différences entre les villages : les choix de répartition sont assez homogènes.

Tout à la fin de l’exercice des bâches, nous avons demandé dans chaque village « quelle part de vos revenus carbone seriez-vous prêts à partager librement avec votre village ? ». La plupart des participant a indiqué être disposé à partager environ 10% de ses revenus carbone avec sa communauté. Avec cela les villages pourront développer leurs infrastructures (puits, maraîchages, poste de santé, école…).

Nous avons également échangé avec les familles-terrains au sujet de leurs coûts d’opportunité. En effet, si ces cultivateurs prêtent des terrains pour qu’ils soient reboisés, ils renoncent potentiellement à des revenus issus de leurs cultures. Nous nous sommes donc plongés avec eux dans les détails de la culture du riz de coteau pour en comprendre tous les aspects (rendements, dépenses, durée des cultures, durées des jachères, etc.).

partage des revenus  qui récompenser

Au total, dans les 26 villages, 255 personnes, soit 88% de toutes les familles-terrains, ont participé à ce processus de délibérations. Pour arboRise, le reboisement participatif n’est pas un vain mot. C’est essentiel que chacun.e ait son mot à dire pour que tous.te.s s’approprient le projet.

Merci à la Fondation Somaha d’avoir contribué à rendre possible toute cette concertation.

fondation Somaha

Selon notre expérience, l’un des leviers du changement, dans toute organisation ou groupe social, ce sont les leaders. Et notre processus vise également à faciliter l’émergence de nouveaux leaders, légitimé.e.s par des élections transparentes dans leur village, puis au niveau sous-préfectoral, au sein de la Coopérative. Bien entendu, les responsables politiques actuels (Sous-préfet, Maire de Linko, chefs de villages) sont associés au processus. Ils se félicitent de la dynamique initiée par le projet dans la région. En effet, nous sommes convaincus que c’est la mise en réseau des leaders (anciens et nouveaux !) qui sera décisive.

Elections à la Coopérative

En octobre de l’année passée nous avions fondé la Coopérative des familles-terrains de Linko pour bien gérer le bien commun que sont les nouvelles forêts arboRise (voir notre reportage ici) et ce 9 juillet 2024 a eu lieu l’Assemblée Générale de la Coopérative. Cette année il s’agissait de faire élire les organes de la coopérative :

organes de la coopérative de Linko

En prévision de l’élection des 26 membres du Comité Coopératif, chaque village avait préalablement élu deux représentant.e.s, un homme et une femme. Lors de l’AG nous avons très simplement utilisé un chapeau dans lequel étaient placés 14 billets de Femmes et 12 billets d’Hommes. Chaque village a tiré un billet au hasard et c’est ainsi que nous avons obtenu un Comité Coopératif constitué en majorité de femmes, toutes reconnues dans leur village, et ainsi visibles au niveau de la sous-préfecture.

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A ce propos, dans certains milieux on s’apitoie volontiers sur la condition de la femme africaine. Pour notre part, nous observons des signes tangibles de leur influence, qui contredisent cette image de faiblesse. Ainsi, dans un village de la sous-préfecture, les femmes ont destitué le chef du village qui rechignait à ce que le village rejoigne le projet ! Autre exemple : c’est une femme du village de Booko qui dirige la confrérie des chasseurs de toute la sous-préfecture, une fonction extrêmement puissante et qui implique des pouvoirs coutumiers importants. Troisième indice : le fait d’avoir exigé une majorité de femmes au comité coopératif n’a jamais été contesté, ni même débattu. Pour clore cette parenthèse, une lecture inspirante à ce sujet : L’autre langue des femmes de Léonora Miano.

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…Ensuite nous sommes passés à l’élection des 5 membres de l’Administration. Les coopérateurs de chaque village ont d’abord choisi le candidat de leur village, puis toute la salle a voté à main levée pour chaque candidat, les 5 avec le plus de voix ont été élus. Nous sommes très contents que l’Imam Bangaly Condé ait été élu directeur de l’administration. Il est cultivé, a vécu longtemps en Côte d’Ivoire et s’engage depuis le début dans le projet de manière exemplaire.

Assemblée Générale de la Coopérative Saidou Marega

Le jour après l’Assemblée Générale, nous avions organisé une formation pour les 5 membres de l’administration et les 26 membres du Comité Coopératif et leurs suppléants pour les préparer à leur rôle et responsabilités.

  • Pour l’Administration c’est simple : ils doivent gérer le budget et organiser la prochaine Assemblée Générale (et ainsi soulager notre partenaire GUIDRE qui s’en occupait jusqu’ici)
  • Pour le Comité Coopératif, c’est plus ardu : il s’agit de mandater les mesureureuses pour que chaque terrain soit visité et évalué, puis, sur la base de leur rapport, d’élaborer une clé de répartition des revenus carbone. En effet, ce n’est certainement pas à arboRise de définir les critères de répartition de ces revenus. Ce choix doit être fait par les premiers concernés, en fonction des traditions et des usages locaux.

Mais selon quels critères répartir les revenus carbone ? vous le découvrirez ici.